Introduction
L’aïkido n’est pas véritablement un sport de combat. Disons qu’il s’agit d’un art martial, impliquant une gestuelle dynamique empêchant l’affrontement, et empreinte d’une véritable philosophie qui consiste en somme à canaliser les énergies : la sienne propre et celle de l’autre. On retrouve cette idée dans le terme aïkido :
- ai signifiant l’harmonie ;
- ki, l’énergie et
- do, la voie.
Dans une adaptation libre, cela donne donc l’école de l’harmonisation de l’énergie. On vise le développement de qualités trop souvent oubliées dans les disciplines sportives traditionnelles : l’écoute de son corps, la compréhension des signaux qu’il nous envoie, l’intégration de toutes les données extérieures et intérieures qui commandent nos actions. Il s’agit véritablement d’une recherche !
Cette ambiance favorise l’établissement de relations humaines très riches. Sur le
tatami (tapis d’entraînement), tout le monde se côtoie, expérimentés et débutants, sans le cortège des habituelles rivalités. Faire la démonstration de sa puissance n’aurait d’ailleurs aucun sens dans cette discipline où l’on apprend au contraire à se servir de la force des autres. Les pratiquants d’aïkido utilisent souvent l’expression « enfoncer une porte ouverte» pour décrire cette gestuelle de non-affrontement où le plus costaud se retrouve inévitablement au tapis. Dans ce rapport de forces qui privilégie systématiquement le plus adroit, les filles évoluent également sans handicap face aux garçons. Chez les enfants, cette mixité favorise l’établissement de relations plus complices à l’intérieur du club et même au dehors. Beaucoup d’adultes aussi éprouvent une forme d’apaisement dans un travail qui mêle aussi étroitement les besoins de libération du corps et de l’esprit.
HistoriqueDevenir une personne à la recherche d’équilibre, en harmonie avec les autres, consciente de ses véritables responsabilités prend du temps. Mais Morihei Ueshiba n’a-t-il pas mis toute une vie pour créer son oeuvre ?
Une arme au service de la paix
Le Moyen-Age japonais a vu se dérouler des batailles entre groupes de samouraïs ennemis selon les techniques du bujitsu, littéralement « technique de la guerre ». Bien sûr, on s’étripait. Mais déjà on revendiquait aussi une certaine spiritualité dans l’oeuvre meurtrière. Comme au temps de nos chevaliers, les guerriers respectaient un code de l’honneur qui devait donner naissance plus tard au
bushido (
la Voie du guerrier), à l’origine de la plupart des arts martiaux. Progressivement, les moines bouddhistes se réapproprièrent en effet les techniques de combat pour les intégrer au service religieux. Les arts martiaux changèrent peu à peu de statut. Ainsi, l’aïkido peut être vu comme l’aboutissement de cette transformation d’une technique militaire en une philosophie de vie. Le grand artisan de cette métamorphose s’appelle Morihei Ueshiba. Il est né le 14 décembre 1883 à Tanabe, ville féodale japonaise située au pied des montagnes de Kumano. Le lieu revêt de l’importance, car, dans la mythologie nippone, c’est à cet endroit-là que les dieux shintos descendirent sur la terre. Ueshiba est élevé dans un respect des traditions qui frise le mysticisme et est envoyé, à l’âge de sept ans, au temple bouddhiste de Shingon. Ses maîtres le décrivent comme un enfant chétif, nerveux et qui tombe régulièrement malade. Son père, un notable de la région, l’encourage alors vers la pratique de la natation et du sumo.
Mais un drame survient qui semble avoir beaucoup marqué le petit Ueshiba. Il assiste en effet, impuissant, à une agression contre son père perpétrée par des opposants politiques. Du jour au lendemain, il décide de se lancer avec fièvre dans la pratique du Budo et, après quelques mois d’un entraînement extrêmement dur, il est littéralement transformé. Certes, il ne mesure que 1,54 m, mais il a gagné de la force, de l’agilité et des réflexes qui lui donnent une nouvelle assurance. Il s’affirme aussi plus facilement qu’autrefois et, par exemple, n’hésite plus à exprimer le sentiment de révolte que lui inspirent les conditions de vie des pêcheurs de l’époque. Avec d’autres jeunes intellectuels, il participe à différents mouvements de protestation et finit par quitter son emploi à la perception de Tanabe pour se rendre à Tokyo où il ouvre une librairie étudiante. Ainsi entend-il conscientiser les masses.
Mais, entre deux ouvrages consacrés à la lutte des classes, il poursuit son enseignement martial et découvre le Ju-Jitsu et le Ken-Jutsu, une pratique au sabre. L’élève est doué ! Un an plus tard, il porte le surnom de Heitaï no Kami Sama, le « Dieu des soldats ». En 1903, il s’engage – c’est bien le moins qu’il puisse faire – dans la guerre contre les Russes et devient expert dans l’art de la baïonnette ; sa conduite courageuse devant l’ennemi lui vaut rapidement le grade de sergent dans le 61e régiment d’infanterie. Après l’armistice, il revient bardé de médailles dans sa ville natale pour ouvrir une maison des jeunes et surtout un dojo (un endroit où l’on étudie la Voie). Diplômé de Yagyu, le principal centre japonais de Ju-Jitsu, il jouit déjà d’une grande notoriété qui lui vaut d’ailleurs de rencontrer Kumagusu Minakata, un fervent défenseur de l’environnement, dont il adopte les thèses. Ensemble, ils s’opposent à un projet gouvernemental qui souhaite l’intégration des petits sanctuaires par les grands centres religieux. D’après eux, ce genre de fusion remettrait en cause les traditions villageoises. Son enseignement se teinte ainsi d’écologie, bien avant que le concept ne soit mis à la mode par les excès d’une industrialisation forcenée.
En 1915, il reprend son bâton de pèlerin et rencontre à Engaru le Maître de l’école
Daito,
Sokaku Takeda, grand spécialiste d’une école d’
Aiki-Jutsu. À ses côtés, il travaille les techniques du Daitoryu et obtient son diplôme de Maître Ju-Jitsu. La santé défaillante de son père l’oblige alors à interrompre sa formation et à rentrer chez lui. En cours de route, il fait un détour pour Ayabe pour prier à la guérison de son père auprès d’Onisaburo Deguchi, grand révérend de la religion Omoto. Mauvaise idée, car son père meurt deux jours avant son arrivée à Tanabe, le 2 janvier 1919, laissant un message à l’attention de son fils absent. Ses dernières mots sont :
« Ne te laisse pas arrêter par quoi que ce soit.
Vis ta vie comme tu le souhaites. »
Très attristé par cette disparition, Morihei Ueshiba se réfugie dans la religion. Il retourne à Ayabe étudier la philosophie Omoto en compagnie de Maître Deguchi. Il prend alors conscience qu’en dépit de tous ses efforts pour développer sa maîtrise et sa force, son énergie spirituelle reste chancelante. L’homme marche sur ses quarante ans et, pendant les heures d’introspection, il jette les bases d’un nouvel art martial baptisé Aïki-Bujutsu, synthèse des techniques ancestrales du Ju-Jitsu des écoles Daito et Yagyu dont il a suivi la formation. Sokaku Takeda, son maître à l’école Daito, est en tout cas très impressionné par l’évolution des techniques de son ancien élève. Si l’art de Morihei Ueshiba grandit, sa spiritualité s’affirme. Le 13 février 1924, il suit Maître Onisaburo Deguchi et quelques-uns des disciples en Mongolie avec l’ambition de fonder un grand royaume de la paix. Nous sommes effectivement en pleine guerre entre les armées chinoise et japonaise, et l’initiative lui vaudra de croupir un an en prison.
À sa sortie, les hasards de la vie le mettent face à un officier de marine expert en kendo. Un combat s’engage au cours duquel on s’aperçoit qu’Ueshiba parvient à déjouer toutes les attaques. Ce n’est pas que son adversaire soit maladroit. Mais, expliquet-il, il est capable de percevoir les intentions agressives et de répondre aux coups avant même qu’ils ne soient portés. Cette démonstration fait évidemment de l’effet dans le petit monde des techniques de combat. On l’invite, on le sollicite. Mais Ueshiba se prend à douter de plus en plus ouvertement de l’intérêt d’une vie consacrée à se battre. Loin de le réjouir, cette victoire facile l’interpelle. Alors qu’il se promène dans son jardin, il s’interroge sur la vanité des hommes. Quel est le sens d’une victoire puisqu’elle repose forcément sur la défaite des autres ? Sa conclusion est sans appel :
Toute compétition est vide de sens et le seul combat qui vaille la peine est celui que l’on se livre à soi-même dans sa quête de complétude. L’ennemi n’est jamais l’autre mais se trouve en chacun de nous sous la forme de tout ce qui empêche l’épanouissement de notre être authentique. L’art martial cesse alors d’être un outil de destruction mais participe au contraire à la construction de la personnalité par la synchronisation des énergies physiques et mentales, ce qu’Ueshiba définit comme « l’être unifié ».
Progressivement, l’apprentissage de l’
Aïki Bu-Jutsu (
aspect technique) cède alors sa place à l’
Aïki Budo (
aspect plus moral, mental) qui recueille rapidement un large succès. Sa réputation grandissante pousse les nobles, les militaires de haut grade et même les grands spécialistes de judo et de kendo de la Garde impériale à se rendre dans son vieux dojo, qui, évidemment, est beaucoup trop petit pour accueillir tout ce monde. En 1931, on construit le
Kobukan au sud de Tokyo, pour asseoir beaucoup plus largement cet enseignement. Bientôt âgé de soixante ans, Morihei Ueshiba dispense encore son savoir dans plusieurs autres dojos du pays, jusqu’ en1942 où l’on officialise le nom aïkido.
La guerre du Pacifique mettra pourtant un certain frein à l’expansion des arts martiaux. Ueshiba se retire alors de la vie publique. Il s’installe à Iwama en compagnie de son épouse et laisse à son fils la responsabilité du dojo de Tokyo. En 1946, les Américains victorieux interdisent purement et simplement la pratique des arts martiaux. Tous les arts martiaux. Même l’aïkido, qui s’était pourtant débarrassé depuis longtemps de toute inspiration guerrière. Les Américains mettront deux ans à admettre l’erreur et à reconnaître du même coup les spécificités pacifiques de cet enseignement. L’aïkido sera le premier art martial à connaître sa réhabilitation, suivie d’une période extraordinaire d’expansion au Japon et à l’étranger. On retrouve alors le vieux Morihei Ueshiba un peu partout à travers le monde.
En 1961, il se rend aux États-Unis pour l’inauguration de l’
Aikikaï d’Hawaii.
«Jusqu’à présent, je suis resté au Japon pour édifier un pont en or qui puisse unifier tout le pays. Je construirai à Hawaii un pont d’argent et, dans les cinq années à venir, je souhaite pouvoir lancer des ponts à travers le monde entier pour réunir tous les pays.»
L’aïkido est issu des arts martiaux, mais il trouve sa véritable grandeur dans l’unification des peuples et dans l’harmonie du monde. Pendant sept ans, Maître Ueshiba participera à la mondialisation de son art. Sa dernière démonstration publique date du 12 janvier 1968. Le 26 avril 1969, O’senseï (Grand Maître) meurt en pointant un doigt vers le ciel et en disant :
« Je retourne d’où je suis venu».
Bien sûr, on peut douter de l’objectivité de ses biographes. En revanche, personne ne peut contester que l’aïkido a survécu à la disparition de son créateur.
Son fils Kisshomaru, puis son petit-fils Moriteru ont veillé jalousement à son développement dans le monde et à la diffusion du message de paix de Morihei Ueshiba.
Les disciplinesÀ côté de l’art traditionnel se sont développés plusieurs styles qui participent à la richesse de l’AIKIDO.
Un art en perpétuel mouvement
Les principes qui font la force de l’Aïkido sont restés. Mais à côté de l’enseignement plus traditionnel se sont développées d’autres formes d l’apprentissage enrichit la connaissance de l’aïkido.
- Ainsi l’aïkido Yoshinkan met l’accent sur le style puissant d’avant-guerre.
- L’aïkido Shinshin Toitsu privilégie des techniques axées sur le concept de ki.
- L’aïkido Yoseikan mêle des éléments d’aïkido, de judo, de karaté et de kenjutsu.
- Enfin, l’aïkido Tomiki comporte une forme de compétition. Pour certains observateurs, cet enseignement contredit la parole du maître et les principes de l’aïkido, surnommé « le Budo de l’amitié ».
Mais pour ses partisans, tout dépend de la manière dont on perçoit l’affrontement. La compétition est-elle proposée dans le but de se réaliser aux dépens de l’autre ? Ou bien pourrait-on l’envisager sous l’angle d’une auto-évaluation qui permet à chacun de prendre mieux conscience de ses forces comme de ses faiblesses ? Les pratiquants d’aïkido Tomiki pencheront pour la deuxième hypothèse, et cela reste, malgré tout, assez fidèle au système de pensée qui a permis le développement de l’aïkido. En japonais, la compétition se dit shiaï, shi signifiant « tester » et aï «ensemble». Le shiaï est donc considéré comme une bonne occasion de se tester tout en travaillant ensemble. Pour rendre plus efficace l’exécution des techniques, les amateurs d’aïkido shodokan estiment que l’apprentissage des katas (répétitions des techniques) doit être complété par un travail randori (libre). Ils estiment en effet que la compétition, où l’adversaire n’est pas tenu de réagir d’une manière prédéfinie, permet une progression plus rapide dans l’acquisition des techniques. En même temps, il faut reconnaître que l’on perd ainsi une partie de ce qui faisait la spécificité de la discipline.
La santé
Morihei Ueshiba pratiquait encore jusqu’à sa mort à quatre-vingt cinq ans ! Preuve s’il en est que l’aïkido, cela conserve !
Plus qu’un sport, un art de vivre
La plupart des techniques s’étudient avec un partenaire, chacun attaquant à tour de rôle pour permettre l’apprentissage et le perfectionnement de chaque mouvement. Il n’y a ni vainqueur, ni vaincu et se conseillent en tenant compte évidemment de leurs niveaux respectifs. Le principe consiste toujours à utiliser la force de l’autre pour le faire chuter tout en demeurant soi-même parfaitement stable. Les rôles sont attribués :
- Uke : Désigne l’agresseur et
- Tori : Exécute la technique. Ensuite on inverse les rôles.
La plupart des cours débutent d’ailleurs par une série d’exercices de décontraction, d’assouplissements et de respiration qui permettent une meilleure mise en condition, tant physique que mentale. Ces techniques de respiration se transposent d’ailleurs parfaitement au quotidien. En apprenant approfondir leur respiration, les enfants notamment parviennent souvent à mieux se contrôler, à maîtriser leur énergie et prennent confiance en eux.
L’aïkido favorise cet épanouissement. Petit à petit, on prend conscience que l’adversaire présumé se comporte en partenaire et cela suffit parfois à libérer les enfants craintifs.
Pour le regard extérieur, les deux protagonistes semblent complices. Mais dans la pratique, on réalise que les contraintes et les résistances mises en jeu sont bien réelles.
Tout cela implique une grande concentration. N’oublions pas qu’on manipule des armes et que la plupart des techniques de l’aïkido proviennent du bujitsu dont le but était quand même de tuer son adversaire. Dans ces conditions, mieux vaut rester attentif et respecter les directives de l’instructeur.
Certes, pour un oeil extérieur, ce principe de non-résistance donne parfois une impression de complaisance entre les protagonistes. Dans la pratique, on réalise que les contraintes et les résistances mises en jeu sont bien réelles. Tout cela implique une grande concentration.
L’aïkido passe également par le développement du
ki. Selon les principes de la médecine chinoise, il s’agit d’une énergie qui parcourt notre corps. On apprend donc à la sentir puis à la déplacer au gré de sa pratique dans son ventre, à travers le corps ou même dans les armes. Du point de vue gymnique, l’aïkido favorise le développement de l’équilibre et la souplesse des hanches, du dos et des épaules. L’attention que l’on accorde aux attitudes donne également l’impression d’une colonne vertébrale qui se redresse, et le fait de répéter les mouvements aussi souvent du côté gauche que du côté droit respecte parfaitement les équilibres du corps.
Enfin, on apprécie la variété des séances. On apprend à son rythme, sans jamais se sentir contraint par l’environnement, ce qui réduit du même coup, et de manière drastique, les risques de blessures. Bref, la pratique régulière de l’aïkido développera tout en douceur la souplesse des articulations et la tonicité des muscles. On peut le pratiquer à tout âge !
Le matérielPlus qu’une catégorie à part, les techniques sont parallèles à l’enseignement de l’aïkido.
Les armesLe maniement du
tanto (
poignard en bois) ou du
bokken (
sabre en bois) s’inscrit ainsi dans la continuité d’un enseignement des techniques à mains nues. Néanmoins ces armes modifient les notions de
distance et de vitesse relative (
Ma-Aï), de
tempo (
Hyoshi), de
lignes et de trajectoires d’attaque (
Hassuji) ainsi que les déplacements de corps (
Taï-sabaki). Tout cela rend la « mise en harmonie» plus difficile. L’engagement véritable dans l’attaque ainsi que la résolution dans la défense augmentent le danger relatif de la pratique et exigent par là même un degré de concentration, d’attention, et de respect de l’autre, encore plus conséquent. Physiquement, la pratique des armes renforce aussi les muscles du bras, du torse et des épaules.
Voyons à présent les différentes techniques :
- Les dori désignent une défense à mains nues sur des attaques armées.
- Les katas consistent à pratiquer seul ou avec un partenaire un ensemble de mouvements codifiés et stylisés.
- Les suburi sont des exercices individuels à caractère répétitif.
- Les kumi permettent à chacun des partenaires, muni d’une arme, de répéter des simulations de combats.
Dans l’histoire du Japon, le
sabre (
ken) était considéré comme l’arme royale du guerrier. Les samouraïs étaient passés maîtres dans la pratique du ken. Au fil des siècles, les techniques de sabre se sont adaptées aux évolutions des forges et des disciplines de combats enseignées par les grands maîtres. En aïkido, le sabre traditionnel est remplacé par un sabre en bois, le bokken. Le bokken mesure 102 cm et pèse 700 g. On parle d’aïkiken quand on évoque l’ensemble des techniques du bokken.
Le
jo est l’art du
bâton. Il mesure 128 cm. Son diamètre importe peu pourvu qu’il tienne bien en mains. Les techniques de jo utilisées en aïkido sont regroupées sous le nom d’aïki-jo et certaines d’entre elles sont inspirées du yari (la lance) et du
juken jutsu (
la baïonnette).
Le tanto est une sorte de dague ou de poignard sans garde et ne possédant aucun tranchant. Là encore le métal a été remplacé par le bois. On apprendra ainsi à désarmer un agresseur muni d’un couteau.
La tenueOn a coutume d’appeler la tenue traditionnelle des arts martiaux un kimono. C’est une erreur. De fait, on confond souvent le kimono, qui est une sorte de longue robe portée aussi bien par les femmes que les hommes comme vêtement d’intérieur ou même de cérémonie, et le
keïkogi,
keïko signifiant
entraînement et
gi vêtement. Tout en gardant la même racine, chaque discipline a ajouté une caractéristique sémantique à sa tenue vestimentaire. Ainsi le vêtement spécifique du karaté se nomme karategi, celui du judo judogi et, en toute logique, celui de l’aïkido, aïkidogi. Si chaque discipline lui a donné un nom particulier, le keïkogi reste fort semblable. Composée essentiellement de coton tissé en forme de grains de riz, la veste est à la fois souple, pour permettre les prises, et très solide, pour éviter qu’elle ne se déchire dans les prises parfois violentes. Le pantalon est souvent renforcé aux genoux, un endroit fort sollicité par les saluts et le travail effectué au sol. La ceinture, nommée également obi, mesure environ 2,40 m. Comme en judo européen, certaines écoles attribu des couleurs de ceinture, correspondant à un niveau d’aptitudes. Pour d’autres il n’y a que deux couleurs. Une blanche pour les grades kyu et une noire pour les grades dan.
Enfin, entre sa sortie du vestiaire et sa montée sur le tatami, le pratiquant chausse une paire de zori, des sandales traditionnelles japonaises, pour éviter de ramener de la poussière sur le tatami. (De simples mules suffisent.)
À la naissance de l’aïkido, les pratiquants devaient aussi porter le
hakama, le pantalon ample que portaient initialement les samouraïs à cheval et qu’ils conservaient, même au sol, car cela leur permettait de se distinguer des autres soldats. Par la suite, le hakama est devenu à la fois un costume cérémonial et l’habit des pratiquants d’aïkido. Chaque élève était obligé d’en porter un. Et ceux qui n’avaient pas les moyens d’en acheter un neuf devaient en récupérer un usé ou même le fabriquer en retirant la couverture d’un matelas, en la teignant et en la cousant. Cela donnait parfois des situations rocambolesques. Comme les pratiquants utilisaient des teintures de mauvaise qualité, l’imprimé original du tissu finissait toujours par réapparaître, donnant ainsi au dojo les couleurs irisées de l’arc-en-ciel.
Aujourd’hui, le hakama est plus austère et réservé aux pratiquants suffisamment expérimentés. Tombant sur les chevilles, sa coupe ample et pratique embellit non seulement la fluidité et la rondeur des mouvements mais il permet surtout de masquer complètement les déplacements.
Au niveau des lombaires, un
koshi-ita, un petit dossier rigide, assure le maintien du dos et un bon placement des hanches. Ce costume, symbole d’une hérédité martiale ancestrale, comporte de nombreux plis ayant chacun une signification religieuse. Les deux plis arrière représentent le concept de
wa (
harmonie). Le verset d’un mythe japonais raconte que les dieux de la guerre aidèrent un jour le dieu du soleil, le plus important des dieux japonais, à gérer une nation sans jamais recourir à l’usage des armes, rien qu’en utilisant leur dignité. C’est ainsi que les deux plis représentent chacun un dieu de la guerre, Take-Mizazuchi-no- Kami et Futsu-Nushi-no-Kami et que le koshi-ita rassemblant les deux plis représente le dieu du soleil, Amaterasu-Omikami. Les cinq plis à l’avant représentent, pour leur part, autant de principes que l’homme doit en posséder :
- Jin (bienveillance, générosité) : on retrouve ici le principe du Bushi No Nasake des samouraïs qui pouvaient à la fois trancher de leur sabre tout problème qui leur était soumis, et pacifier les esprits sans ôter la vie. Le respect et le souci de ne jamais causer de trouble à autrui conduit naturellement à une concorde sociale mutuelle.
- Gi (honneur, justice) : c’est jurer fidélité à ses engagements, à sa parole et à l’idéal que l’on s’est choisi. Le sens de l’honneur passe par le respect de soi-même, d’autrui et des règles que l’on s’est fixées.
- Rei (courtoisie, étiquette) : la politesse n’est que l’extériorisation d’un intérêt sincère et authentique porté à autrui, à travers des attitudes pleines de respect et de sollicitude.
- Chi (sagesse, intelligence) : la sagesse est de toujours parvenir, quelles que soient les conditions, à séparer le positif du négatif, à n’accorder aux événements que l’importance qu’ils ont, sans se départir de cette sincérité si durement acquise sur le tatami.
- Shin (sincérité) : sans sincérité, toute pratique martiale n’est que simulation et mensonge, tant pour autrui que pour soi-même. La sincérité, caractérisée par un engagement total, permanent et sans retenue est primordiale. L’illusion ne peut perdurer longtemps devant les exigences et le réalisme de la Voie.
Les règlesOn ne parle pas de règlement en aïkido. On parle d’étiquette, c’est-à-dire un ensemble de consignes qui régissent les comportements et les relations des pratiquants. Si chaque dojo a sa propre étiquette, l’esprit, lui, reste globalement le même.
Ce que tu fais, fais le de ton mieux
L’étiquetteL’aïkido qui consiste à s’initier à l’art de parer les attaques, armées ou à mains nues, pourrait être utilisé à des fins moins pacifiques. Aussi insiste-t-on beaucoup sur l’étiquette et le contrôle de soi pour éviter que les combats ne dégénèrent en batailles de rue. Le salut par exemple revêt une grande importance. On se salue au début de chaque exercice et on salue aussi le père fondateur à chaque fois que l’on monte ou que l’on descend du tatami. On porte également le plus grand respect à son équipement. Le gi (la tenue) et les armes doivent toujours être propres et en bon état. Toute arme non utilisée doit être rangée dans son étui. On enseigne également que le gi ou les armes sont des objets personnels qui ne se prêtent pas.
La relaxation fait partie intégrante de la séance. Tous les pratiquants assis en ligne profitent de cet instant pour faire le vide, se débarrasser des problèmes de la journée et se préparer à l’étude. Pas question de s’adosser à un mur ou à un poteau, ni même d’étendre ses jambes. La seule façon correcte de s’asseoir sur le tapis, à moins d’être blessé, est la position en
seïza. Comme pour les
suwari-waza (
techniques à genoux), on s’assied sur les genoux, les orteils allongés de façon à être capable de pousser sur le tatami et effectuer un déplacement rapide.
La position seïza est également adoptée lorsque le professeur expose une technique. Le cours débute et se termine par une cérémonie formelle. Habituellement, on dit «
Onegaï shimasu » «
Je vous fais une requête, s’il vous plaît» lors du salut du début du cours et «
Arigatoo gozaïmashita» (
Merci) à la fin de cours. Si l’élève arrive en retard, il doit attendre à côté du tatami que l’enseignant lui fasse signe de se joindre au cours.
Le Maître doit être respecté et écouté. Si, pour une raison ou une autre, un élève doit poser une question au professeur, il va vers lui, le salue et attend qu’il soit disponible.
Quand il corrige un autre pratiquant, les élèves peuvent s’arrêter de travailler pour regarder attentivement
Le respect du partenaire, surtout les plus gradés que soi, est très important. Si l’un des deux pratiquants connaît le mouvement, il peut guider son partenaire, mais à moins d’avoir le niveau
yudansha (
ceinture noire), il ne doit pas essayer de le corriger. D’une manière générale, il ne faut jamais essayer d’imposer ses idées. Le but n’est pas de parler mais de laisser son corps s’exprimer et travailler. Le tatami (tapis) est réservé aux pratiquants. Personne ne s’y prélasse, que ce soit avant ou après le cours. En cas de nombre impair, personne ne doit rester debout sans travailler. Celui qui n’a pas de partenaire se joint à un groupe ou attend son tour, assis en seïza. Le dojo faisant partie intégrante de la pratique, il jouit du même respect.
Interdiction bien sûr de manger, boire, ou mastiquer du chewing-gum. Bref, sans se sentir restreint dans ses habitudes, il faut faire son possible pour respecter l’harmonie du dojo et donner ainsi le maximum de plénitude à la pratique de l’aïkido.
Les gradesVu l’absence de compétitions et de classement, les grades sont un moyen idéal de mesurer sa progression. À l’aïkido, ils sont de deux ordres : les
kyu pour les ceintures blanches et les
dan à partir de la ceinture noire. Le débutant qui monte pour la première fois sur le tatami est d’office sixième kyu. Selon un laps de temps qui varie de deux mois à un an suivant les progrès enregistrés ou les habitudes du club, l’élève passera son cinquième kyu, et ainsi de suite jusqu’au premier kyu, l’équivalent de la ceinture marron dans les disciplines martiales utilisant les couleurs. Une fois arrivé à ce stade, l’élève pourra entamer sa deuxième phase de progression : le passage des dan. En japonais, le premier dan se dit
shodan, l’idéogramme
sho signifiant
débutant. Et de fait, on débute réellement l’aïkido à partir de la ceinture noire. On considère même que l’on commence à maîtriser correctement les techniques courantes à partir du troisième dan. En récompensant tout autant les progrès techniques que l’évolution intérieure liée à la pratique, le passage de kyu reflète parfaitement la philosophie de l’aikido.
Le maître pourra attribuer un même grade à un élève doué techniquement ou à un autre dont le comportement vis-à-vis des autres ou du dojo se sera avéré irréprochable. Il sera temps, plus tard, de juger des qualités techniques seules lors des passages de dan qui s’effectuent, quant à eux, devant un jury externe.
Les techniques«L’aïkido ne s’explique pas, disent certains maîtres, il se pratique et se vit.»
La technique du coeur
Nous l’avons vu précédemment, l’aïkido se pratique soit avec armes, soit à mains nues. Au départ de l’affrontement les deux partenaires peuvent être
debout (
Tachi waza). Ou alors,
Uke l’attaquant est
debout et
Tori se trouve en
position seïza (
Hanmi handachi waza). Ou encore, Uke et Tori sont tous les deux en
position seïza (
Suwariwaza).
Multipliez ces possibilités avec la combinaison des attaques répertoriées, des projections et des immobilisations possibles, et vous aurez une petite idée de la complexité du millier de techniques différentes. Un livre entier ne suffirait pas à les décrire. D’ailleurs le pratiquant lui-même n’apprend jamais autant de mouvements de manière stéréotypée. Il doit au contraire développer ses facultés d’adaptation qui sont l’essence même de l’aïkido.
Morihei Ueshiba, son fondateur, n’a-t-il pas dit un jour :
« Si votre coeur est juste, vos techniques aussi seront correctes ».
De fait, il n’aimait pas que son art reste figé et préférait le voir évoluer au gré de l’imagination de ses élèves pour peu que cela reste fidèle aux principes de base.
Dans la philosophie japonaise, le centre physique de votre corps est le ventre. C’est là également que naît l’énergie vitale, le ki. On doit apprendre à recourir à cette puissance pour projeter l’assaillant au sol. En revanche, il faut éviter de fixer son adversaire dans les yeux sous peine d’être hypnotisé. Ne fixez pas non plus son sabre, il pourrait vous intimider. D’ailleurs, il ne faut pas fixer l’adversaire qui pourrait absorber toute votre énergie. Il faudra au contraire l’entraîner dans votre propre sphère à partir de laquelle vous pourrez l’amener où bon vous semble, en toute sécurité.
Les techniques doivent reposer sur les quatre qualités reflétant la nature de notre monde. En fonction des circonstances, vous devrez être aussi dur que le diamant, aussi flexible que le jonc, aussi fluide que l’eau et aussi vide que l’espace. Le corps s’apparente ainsi à un triangle qui symbolise à la fois l’énergie et la stabilité. Les mouvements s’inscrivent dans un cercle qui symbolise la sérénité. L’essence de toute technique d’aïkido réside dans l’emploi du corps tout entier en vue de créer une sphère dynamique autour d’un centre stable et énergique. Concrètement, cela signifie deux choses. La première, c’est que les mouvements doivent être amples et souples. La seconde, c’est que l’on doit toujours se tenir solide et en équilibre.